Le Supercouloir au Mont Blanc du Tacul par Julien Irilli

Après la face nord du Cervin et la face nord des Grandes Jorasses, Julien a récidivé sur une très belle course : le Supercouloir au Mont Blanc du Tacul (ED-, IV, 5c, 5, M6, 800m) en une montée express de 4 heures, et une descente du sommet en parapente. Encore une fois, du grand alpinisme, et de très bonnes réflexions.

L'itinéraire du Supercouloir au Tacul.
L’itinéraire du Supercouloir au Tacul. Photo : CampToCamp

La vidéo de Julien Irilli

Le récit du Supercouloir au Tacul

La montagne m’a, une nouvelle fois, offert un grand moment. Pourtant, alors que je trace la route vers la vallée, je ne me sens pas bien. Je suis fatigué nerveusement. Passés les instants d’euphorie et de joie, je me sens vidé. Suis-je allé trop loin ? Un tel engagement a-t-il du sens ? Rien ne se déroule exactement comme on l’a imaginé dans ce genre d’entreprise, c’est aussi le charme et l’intérêt de la chose.

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À l’attaque de la voie.

Grimper seul et sans connaître l’itinéraire comporte son lot d’aléas, je l’accepte, mais un mental, tout aussi préparé et motivé soit-il, a ses propres limites. Je m’en suis approché lors de cette ascension, c’est évident. Egaré une fois de plus dans un départ de voie comportant plusieurs options, je me revois désescalader cette grande fissure qui n’aboutit nul part, avec ce sac qui me tire en arrière.

Une heure d’errance de gradins en dalles compactes, le doute s’installe : j’ai connu meilleurs commencements. Je me remotive en me disant que j’ai le temps, et je pars finalement dans le départ « classique » du pilier Gervasutti.

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Le granit du Gervasutti.

Rien de bien difficile dans un premier temps puis arrive ce dièdre-cheminée, typique de l’escalade Made in Chamonix. Ce qui en temps normal fait juste râler au moment de clipper le petit coinceur que l’on vient d’ajuster entre deux fines lames de granit évasées, se transforme en épreuve de concentration à base de lente reptation où chaque mouvement est millimétré et parfois remis en question quand le point d’équilibre n’est pas trouvé.

Les émotions stabilisées (il le faut !), les sens en éveil au niveau maximum, je recherche la détente musculaire pour ne pas gaspiller mon énergie vitale. À chaque nouvelle préhension ou changement de position, je sais qu’un décompte se met en place avant que les premiers spasmes de fatigue musculaire n’apparaissent.

« Allongé dans l’herbe de Chamonix, je me dis que la cordée me manque. Je ne veux pas que le solo devienne une pratique systématique. J’ai pris conscience que j’avais à nouveau besoin de partage en direct, c’est si riche. »

Observer et réfléchir vite, absolument. Et le tout détendu, je vis un paradoxe, quand deux opposés doivent s’unir pour former un tout. Le tout en question, c’est moi et mon intégrité physique. Riche mais exténuante expérience.

Ces instants, finalement très courts au regard d’une journée passée à parcourir la montagne, semblent densifier le temps jusqu’à l’arrêter. J’échange quelques mots avec une sympathique cordée espagnole que je double avant de débuter la goulotte.

La goulotte est en très bonnes conditions.
Le départ de la goulotte qui l’air d’être vraiment en très bonne condition.

Pause sandwich, je me détends et j’enquille droit dans le couloir gelé. La glace est tendre, un rythme robot se met en place et j’avale les 400m du goulet en à peine 1 heure. Mon esprit, quoique toujours aux abois, se détend un peu et j’apprécie chaque frappe de piolet dans cette rivière verticale couleur turquoise.

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Vue plongeante sur le couloir.

La glace cède place à la neige et au mixte, je louvoie entre les rochers jusqu’à cette brèche perchée tout en haut de la Tour Rouge. Je peux enfin m’assoir sur du plat sans avoir à creuser un siège, le spectacle de toutes ces flèches de granit qui m’entourent m’émerveille. Je sais pourquoi je suis là. Tout prend du sens.

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Petite pause au sommet de la Tour Rouge, j’en profite pour réchauffer mes pieds !
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La face nord de la Tour Ronde, tout en bas au fond. Ne serait-ce pas le Grand Capucin aussi juste devant ? :-)

Ok, je place tout ça dans mon coeur et me reconcentre, ce n’est pas fini. La neige qui tapisse le petit couloir qui suit ne me permet pas d’avancer sereinement : elle se dérobe sous mon poids et m’oblige à nouveau à doser mes appuis. Je débouche enfin sur l’arête finale, suspendue, plein gaz ! J’aperçois sur ma droite un des énormes séracs en guimauve du sommet du Tacul.

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Une glace italienne au Sommet du Tacul ?

Je ne vais pas avoir le choix si je veux assurer le coup, les chaussons ressortent du sac. Des images d’astronautes me traversent la tête. Non je ne débloque pas, je constate simplement qu’entre ombre et lumière, du côté pile ou du côté face de l’arête, l’ambiance est radicalement différente. La vie me pousse à rester du côté soleil, mes orteils également. Une larme d’onglée versée, mes mains agrippent à nouveau le caillou. Le côté pile se montre généreux. Me voici à califourchon au sommet de cette immense lame pour ma dernière transition chaussons/chaussures.

Le sommet est en vue.
L’arête rocheuse terminale. Le sommet est en vue. Non, ce n’est pas l’Aiguille de l’M !

Alors que je cale le sac devant moi sous un renfoncement de l’arête, je suis mort de rire en imaginant la scène vu par un observateur extérieur. Ma chaussure gauche est bien en place entre mes mâchoires, le chausson droit sous les aisselles… c’est mignon tout ça, mais si l’un m’échappe, je vais pouvoir tester l’isothermie de mes chaussettes dans la neige à 4000 ! Pas top, du coup gestes lents et concentration…pour changer !

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Crampons, chaussons, re-crampons, re-chaussons…

Comment ne pas exulter en arrivant au sommet ?! Heureux, oui, libéré, un peu aussi, vidé, pas tout à fait mais pas loin. Allez zou, je descends m’abriter du vent pour préparer mon aile. C’est magique, je la déballe en 30 secondes, j’endosse ma culotte-sellette, et je range mes crampons. Elle arrive sur ma tête, à peine le temps d’y penser, et hop, j’enjambe la corniche puis me jette en face Nord.

Timing de la journée:

9h30 : Aiguille du midi
10h15 : rimaye du Supercouloir
10h30: perdu dans la nature
11h30 : attaque du Gervasutti
12h15 : pied de la goulotte
13h15 : sommet des difficultés glacières
15h00 : arête rocheuse terminale
15h30 : sommet du Mont Blanc du Tacul
16h30 : Chamonix

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La descente ? En parapente évidemment ! :-)

Réflexions sur la pratique du solo

Je crois que c’est fait, place à l’euphorie et au relâchement, ça sent la gaufre pour le goûter ! Allongé dans l’herbe de Chamonix, je me dis que la cordée me manque. Je ne veux pas que le solo devienne une pratique systématique. J’ai pris conscience que j’avais à nouveau besoin de partage en direct, c’est si riche. Comme pour beaucoup de choses dans la vie, je sens qu’un équilibre est à trouver entre moments de solitudes et moments partagés. Engagement total et sécurité de la corde. Nous sommes bel et bien des êtres duels.

Le topo de la voie

Voir le topo complet sur Camp To Camp

Gravir le mont Blanc du Tacul par le Supercouloir est une entreprise très sérieuse, qui demande un très bon niveau technique et une solide expérience en haute montagne dans ce type d’itinéraires.
Le Supercouloir est une des plus belles courses de ce type dans le massif du Mont Blanc. Il sépare le pilier Gervasutti (à droite) du pilier des Trois Pointes (à gauche). Ce couloir est très long, très étroit et très raide. L’été, il n’y a ni neige ni glace et les chutes de pierres y sont nombreuses. Il faut donc gravir cette goulotte en condition glaciaire, généralement à la fin de l’hiver ou au printemps.

Altitude min / max : 3300m / 4248m
Dénivelé : +1000m
Dénivelé des difficultés : 800m
Configuration : goulotte
Orientation principale : NE
Temps de parcours : 1 jour
Pente : 85°
Cotation globale : ED-
Engagement : IV
Qualité de l’équipement en place : P2
Cotation libre : 5c
Cotation glace : 5
Cotation mixte : M6

Retrouvez les actualités de Julien sur son site, ainsi que l’interview consacrée à sa carrière.

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