La voie Petit au Grand Capuçin par Raphaël Georges

Après son solo mémorable de mars 2022 aux Drus (ascension en solitaire de la voie Lesueur), Raphaël Georges revient sur la réalisation d’un projet qui lui tenait à cœur : l’enchaînement de la voie Petit au Grand Capuçin. L’occasion de se replonger dans la grimpe en fissure et les envolées granitiques du massif du Mont-Blanc !

« Le cœur plus proche des 200 que des 100 pulsations par minutes, les mains dans un bac, les pieds sur 2 cristaux de quartz, les fesses suspendues à 200m de haut (ou alors 3600m, tout dépend du référentiel), me voici au repos de la longueur clef de la voie Petit. Heureusement bien acclimaté, je peux respirer un peu avant le crux très physique qui suit. Concentré plus que reposé, je reprends mon escalade : main gauche sur la verticale, main droite la pince en inter, grosse fermeture pour aller chercher le mauvais verrou, main gauche sur l’épaule en inter puis le verrou bizarre, le plat de sortie…« 

Prélude

Été 2021, après avoir enchaîné les Trésors de Romain (merci à ma super chérie qui m’a assuré et suivi au jumar), c’est assez logiquement que mon attention s’est tournée vers la voie dure du Grand Capucin : la voie Petit. 450 mètres d’escalade exigeante, réputée engagé avec 6 longueurs en 7b et plus, dont une en 8b. Un gros morceau que j’ai toujours voulu grimper mais qui jusqu’à présent me paraissait inaccessible.

La voie Petit au Grand Capuçin : première tentative

Été 2022, les canicules se suivent et se ressemblent. Pas question de faire de l’alpinisme dans ces conditions mais comme le Grand Cap semble faire encore partie des trucs solides du massif, le projet « voie Petit » ressurgit. C’est accompagné d’Étienne, bon copain et bon grimpeur, que se fait la première montée. Après une traversée express de la Vallée Blanche déjà bien grise, deux longueurs de chauffe, nous voici au pied de la première longueur dure : un 7b dalle bien engagé qui d’entrée de jeu donne le ton. Réunissant mon courage et ma concentration, je m’apprête à y aller…

– « Non mais attends j’y vais, garde des forces pour la suite. »

« Tu es sûr ? »

Il ne doit pas être au courant que c’est une dalle expo qui, à vue, a même fait vibrer les forts grimpeurs… En bon ami, je laisse Étienne aller au charbon.

Rapidement, il avale les premiers mètres bien protégeables, atteint le spit, tombe une première fois, une deuxième puis trouve la solution. Un mètre, trois mètres au-dessus du spit… Toujours dans le dur, mon grimpeur vibre mais ne tombe pas. Quatre mètres, cinq mètres… D’ici je peux voir que tous ces mois de « beastmaker » sont mis à profit : en ce moment, je n’aimerais pas être une arquée sous les doigts d’Étienne. Six mètres, sept mètres… deux friends viennent mettre fin à ce run-out plutôt épique.

Deux longueurs plus tard, plus faciles mais non moins engagées, Étienne me laisse la main. Nous sommes au pied du 8b. Pour l’instant encore dans l’enchaînement, face aux abondants tickets de magnésie, je décide de faire un run à vue. Qui sait, sur un malentendu ça peut passer…

La première partie, un dièdre technique d’une vingtaine de mètres me donne l’illusion que la chose est possible. La deuxième partie, un toit très physique me rappelle que faire du 8b à vue, est réservé aux « vrais » forts grimpeurs. Comme prévu au bout de 2 mètres, complètement explosé et à l’envers dans les méthodes, l’enchaînement à vue prend fin. Dommage j’y étais presque ! (pas du tout).

La journée étant bien avancée, pas le temps pour un deuxième essai. La suite ? On reste dans le thème du premier 7b : technique et engagé mais quelle classe !

© Raphaël Georges

Les longueurs au-dessus de la vire Bonatti sont d’une beauté à couper le souffle dans une ambiance où le vide nous aspire. Ou l’inverse, je ne sais plus.

Pas d’enchaînement sur cette première montée, mais mis à part cette longueur clef pas complètement calée, tout a été fait ou semble faisable. C’est alors convaincu de le faire à la prochaine montée, que je repars dans la vallée. C’était sans compter ma capacité à oublier les méthodes, les aléas de puiffance, les longueurs mouillées par fonte du permafrost, ma mauvaise foi… Après être revenu avec Marc, puis mon papa au jumar, le 8b me résiste encore et toujours.

Mon père se découvre une nouvelle passion, la jumard
Mon père se découvre une nouvelle passion, le jumard. © Raphaël Georges

Souviens-toi l’été dernier

« Nous sommes maintenant fin août, il est 16h30 et je suis sur le plat de sortie. Il reste trois mouvements durs. La paroi est à l’ombre depuis longtemps et ça colle à mort ! Le plat n’est plus si plat et c’est presque sans difficulté que je fais le mouvement suivant, puis le suivant.

Ça y est, j’atteins le repos et enfin 10m plus loin, le relai. Sensation étrange que d’arriver à enchaîner cette longueur presque frais. Je m’étais imaginé un combat épique luttant contre l’acide lactique, hurlant à chaque mouvement les pieds plusieurs mètres au dessus des friends… Peut-être 8a+ ? Je crie à mon succès et ma joie à Charly. Jeune aspirant-guide, il est mon compagnon de cordée du jour, et je ne le connais pas encore très bien.« 

Je ne sais pas comment il va réagir quand il va voir que j’ai oublié la corde de hissage au relais. Ce qui implique qu’il va devoir jumarer toute la longueur avec le sac sur le dos . Sac qui contient tout le matériel de bivouac ainsi que de l’eau pour deux jours. Et oui, si j’enchaîne cette voie se sera malheureusement en deux jours. Pas par choix, mais à cause du tournage d’un film fermant l’accès à la Vallée Blanche toute la matinée, d’où notre départ si tardif.

© Raphaël Georges

45m de remontée sur corde plus tard, Charly, ainsi lesté, ne semble pas m’en vouloir. C’est donc parti pour la longueur suivante. Un 7c+ qui comprend un petit crux expo pour se chauffer et un crux engagé qui consiste à se dresser sur deux chiures de mouches fossilisées les mains à plat. Ça passe ! Ainsi que le 7b+ qui suit, yes !

Au bivouac plus tôt que prévu, j’hésite un moment à continuer et enchaîner la fin de la voie avant la nuit mais me ravise : 4 longueurs dont 2 dures en moins de 2h c’est un peu juste. Pendant ce temps, la montagne se pare des lueurs du soir. C’est beau, comme toujours. Enfin, pas tout à fait, cette fois ma contemplation est affectée par une note de tristesse. D’émerveillement, mon regard devient un peu mélancolique. Que la montagne est belle…oui mais tellement fragile.

Devant nous, la Tour Ronde et sa face nord plus écroulée qu’englacée. En bas, le glacier de la combe Maudite, couvert de vielle neige jaune ou alors tout simplement ouvert, déchiré par les crevasses qui semblent encore sans fond…Mais pour combien de temps ? 300 mètres sous nos pieds, la première longueur du grand Capucin ne cesse de grandir. Entre ma première visite en juillet et maintenant, 10 mètres sont apparus.

Le 6c bien dur
Le 6c bien dur. © Raphaël Georges

Le lendemain, un vent glacial et un soleil voilé ferons office de réveil. Ça colle ! Merci mais je n’en demandais pas tant ! Pas facile de grimper dans ces conditions et je lâche un petit essai dans le 7c+/8a. Rampe dans le 6c(bien dur) qui suis. Je ne ne vibre pas dans la magnifique dalle fissurée en 7b+, de toute façon c’était trop engagé pour que je me permette de tomber. Les deux dernières longueurs, faciles, en rocher parfait sont là pour nous donner le temps de savourer l’arrivée au… SOMMET !

Au sommet © Raphaël Georges

Merci à Étienne, Marc, Charly et mon papa pour avoir accepté d’avoir mal aux pieds, aux bras, aux doigts, chaud, froid, peur (choisissez le qualificatif qui vous plaira) pour m’accompagner et m’aider dans cette aventure !

Raphaël


Raphaël Georges est guide de Haute-Montagne. Retrouvez ici son site professionnel : découverte de l’alpinisme ou grandes courses, raids à ski, escalade en falaise… il y en a pour tous les goûts !

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